La Séquestrée de Poitiers
Blanche Monnier, nait le 1er mars 1849 à Poitiers et grandit dans une famille de la bourgeoisie royaliste. Son père, Charles-Emile Monnier est ancien doyen de la Faculté de Lettres.
Le 23 mai 1901, à la suite d’une dénonciation par lettre anonyme, le procureur général de Poitiers ordonne une perquisition dans une maison bourgeoise chez Madame Louise Monnier, devenue veuve.
Les
gens du coin jasent sur un « secret » que cacherait cette veuve.
A l’étage de la demeure, les policiers découvrent une chambre plongée dans l’obscurité. Là, sur une paillasse pourrie ou pullule la vermine, est étendue une femme nue, réduite à l’état de squelette humain.
L’odeur est pestilentielle. Les persiennes de l’unique fenêtre sont cadenassées. On les brise pour faire entrer air et lumière.
Apeurée, la misérable créature couvre sa tête avec un drap et se recroqueville sur la toile cirée qui lui sert de literie. Elle n’a pas vu les rayons du soleil depuis vingt-cinq ans et ne pèse plus que 25 kilos pour 1m55.
C’est Blanche Monnier, la fille de la maison.
On se rappelle qu’autrefois, celle qu’on appelait « la belle mademoiselle » brillait dans les salons de la bonne société poitevine.
A 23 ans, elle s’éprend d’un avocat. Mais ses parents s’opposent violemment à cette relation : l’homme est républicain, protestant, sans fortune.
Or Charles Monnier est le doyen de la faculté de lettres et sa femme Louise est la fille d’un riche agent de change.
Pour ces catholiques et royalistes fervents, la mésalliance est impensable !
Mère et fille se disputent pendant des mois. On ordonne à Blanche de ne plus voir son amoureux.
Elle refuse. On finit par la cloitrer dans sa chambre. Elle tente de s’échapper la nuit. Ses parents la font alors garder par leur bonne dévouée qui couche dans la pièce, dont ils condamnent même les volets.
Le piège se referme.
L’amant de Blanche écrit aux parents pour demander sa main : ils répondent qu’il ne doit jamais la revoir et qu’ils l’ont éloignée de Poitiers à dessein. L’éconduit cesse de se manifester.
Dans la bonne société provinciale, on ne pose pas de questions sur les affaires de famille. Le père meurt, laissant sa femme décider du sort de leur fille.
En face de chez eux, habite le frère de Blanche, Marcel, ancien sous- préfet trop soucieux de toucher son héritage pour tenter d’infléchir sa mère.
Le huis-clos devient toujours de plus en plus infernal. La rumeur court que la demoiselle aurait perdu la raison à la suite d’une « fièvre cérébrale » subite.
La vérité, quelques voisins la devinent : certains d’eux entendent des cris dans la nuit… « Laissez-moi sortir ! » « Appelez la police ! »… Mais les braves gens préfèrent se boucher les oreilles.
Un
jour Blanche se rebelle en lançant son pot de chambre à la tête de sa mère… qui
la châtie en ordonnant qu’on ne nettoie plus jamais la pièce !
La prisonnière tente une grève de la faim. Elle s’affaiblit et devient grabataire. Les immondices s’accumulent sous elle. Louise Monnier obtiendrait via un ami médecin du laudanum, un opiacé qui coupe l’appétit, dont elle gave sa fille.
Blanche,
droguée en permanence, y perd sa santé physique et mentale. Au début, elle
écrit son désespoir sur les murs de sa chambre. L’Est Républicain du 8 octobre
1901 publiera quelques-uns de ses graffitis : « Serai-je toujours dans ce tombeau ? Me délivrera-t-on un
jour ? ».
Vers 1899, la bonne de la maison décède. La mère Monnier est obligée d’engager deux jeunes servantes dont l’une va tout raconter à son fiancé militaire, qui rapporte l’affaire à son supérieur.
Un officier, on le croit ! L’instruction dure cinq mois. La mère est interpellée. Elle trouve qu’on l'importune pour « bien peu de choses »…
Quinze jours plus tard, la tortionnaire de 75 ans s’indigne tant de sa mise en accusation, qu’elle meurt d’un infarctus !
Ne reste plus que le frère Marcel. Ses relations bien placées lui valent de n’être poursuivi que pour « complicité de violences ».
En correctionnelle, il écope de quinze mois avant de faire appel et d’être acquitté.
Blanche
Monnier, hospitalisée, est déclarée folle. Ainsi la fait-on taire à jamais.
Pourtant son cas défraie la chronique et inspire en 1930 à André Gide un roman
« La Séquestrée de Poitiers », qui dénonce la terrible pesanteur des
valeurs bourgeoises.
La
vraie Blanche finira ses jours à l’âge de 63 ans, délaissée de tous dans une
maison de repos de Blois.
L'affaire suscite un émoi considérable après la parution du journal L'Illustration du 1er juillet 1901, affichant la photo de Blanche Monnier, amaigrie avec une chevelure particulièrement abondante.
Jean-Marie Augustin avance une instrumentalisation de ce fait divers par la presse quotidienne dans un contexte politique particulièrement clivant entre les partis politiques républicains et royalistes. En enquêtant sur les éléments du procès, il avance que la « séquestration forcée » est plus nuancée en s'appuyant sur les habitudes et mœurs de la famille Monnier et les témoignages des domestiques.
Dans un documentaire dédié à cette affaire, l'écrivaine Viviane Janouin avance que Blanche aurait eu un enfant de cette union clandestine, et que les parents l'auraient fait disparaître et enterré dans le jardin. Cette version est contestée par Jean-Marie Augustin dans son ouvrage La véritable histoire de la séquestrée de Poitiers, qui affirme que, selon son enquête, la version la plus probable est que Blanche Monnier était atteinte de troubles mentaux et psychiques, probablement d'anorexie. Sa mère, Louise Monnier, refusait de l'interner dans un asile psychiatrique, par malveillance et par crainte de ternir l'honneur et la réputation de la famille.
À l'issue de ce procès, Marcel vend tous les biens de la succession de sa mère (à l'exception de la maison 21, rue de la Visitation) et se retire à Ciboure dans les Pyrénées-Atlantiques, conservant une maison de campagne à Migné où il décède en juin 1913.
Pour aller plus loin
https://www.youtube.com/watch?v=i86xJKTlMbg
· André Gide, La Séquestrée de Poitiers, éditions Gallimard, 1930 (ISBN 2-07-020157-0)
· Jean-Marie Augustin, L'histoire véridique de la séquestrée de Poitiers, Paris, éditions Fayard, 2001, 334 p. (ISBN 2-213-60951-9)
Sources
Ça m’intéresse 36 faits divers juillet aout 2018 N°49
Wikipédia
You tube
L’illustration N° 3059 du 12 octobre 1901 dessins de L. Sabattier
La vie illustrée n° 138 du 7 juin 1901 (portrait de Monnier par Victor Merken)
Archives départementales des Deux Sèvres
Quelle horrible histoire ! Quelles souffrances pour Blanche.
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