#ChallengeAZ - V - Les Lettres de Vouziers

 

Les lettres de Vouziers

 

La justice est contente.

En ce 6 janvier 1830, elle vient de mettre la main sur un dangereux criminel. Auguste Labauve, charcutier de par son métier, épistolier anonyme de par sa passion, est sous les verrous.
Rollin, le procureur du roi, en est certain, le meurtrier de Pauline Benoit, c’est lui. Il faut de suite mettre hors d’état de nuire ce sinistre individu.

 

Le juge de paix de Vouziers, qui s’appelle Monsieur Benoit, a une autre passion que celle du charcutier de cette petite ville des Ardennes.

Si le second adore envoyer des lettres anonymes, le premier a un amour immodéré pour l ‘or. On a la passion de ses moyens.

Le bonhomme passe son temps à compter et recompter son or, qu’il garde précieusement dans sa maison de la place de l’Hôtel de ville.

A tel point que sa famille ne dort plus.

C’est que la famille a la peur des riches : elle est hantée par une possible intrusion de voleurs.

L’épouse du juge de paix, à l’instar de leur fils Frédéric, ou de Louise Feucher, la nièce qu’ils hébergent contre moult petits travaux très peu rémunérés, passe ses soirées à vérifier et à revérifier que portes et fenêtres sont fermées à double tour.

 

Pourtant, l’innommable arrive. Alors que le juge Benoit s’absente au soir du 8novembre 1829 pour aller régler un litige concernant un moulin, dont il tire un maximum de profit, un voleur pénètre dans la maison pendant que tout le monde est au lit.

Ce voleur s’empare de 8000 francs, pour partie en or, pour partie en argent, ainsi que de quelques belles pièces d’argenterie.
Et il égorge Pauline Benoit dans le grand lit conjugal.

 

Quand il rentre le lendemain matin, le juge Benoit trouve son fils en larmes, sa nièce à moitié évanouie et son épouse assassinée.

 

Le procureur Rollin et le Juge d’instruction Matthieu son rapidement sur place, alertés par la maréchaussée, laquelle a été tirée du lit par Frédéric Benoit. C’est lui qui a découvert le drame affreux : sa maman, gorge ouvert, sang répandu. Un travail de boucher !!

 

Alors quand Monsieur BENOIT trouve une lettre posée sur le rebord de sa fenêtre, deux mois après le drame, il comprend qui est le criminel.

Car la lettre n’est pas signée. Et quand on reçoit une lettre anonyme à Vouziers, on comprend immédiatement qui en est l’auteur.

A quelques dizaines de mètres de la maison cossue du juge, se trouve une charcuterie tenue par Auguste Labauve.

Patés et boudins en tout genre, lettres d’insultes à foison.

C’est que le grand costaud qu’est Labauve a le sang chaud, et qu’il règle des comptes à l’aide d’épithètes non signées, mais plusieurs fois avoués dans le procureur.
 

 

La lettre anonyme c’est sa marque de fabrique. Alors quand il dépose près de la fenêtre de son vieil ennemi, une missive lui reprochant la mort de son épouse, il signe son arrêt sinon de mort, du moins d’arrestation.

 

Celui-ci admet comme d’habitude, être l’auteur anonyme, mais nie farouchement être l’assassin. Peu importe, ce sera les assises.

 

Lors du procès le 30 juillet 1830, le tout Vouziers est présent pour voir condamner le charcutier soupçonné d’être un boucher sanguinaire à la peine de mort.


Mais l’avocat de Labauve est retors. Loin de mettre en doute le mauvais caractère du charcutier, les lettres anonymes du charcutier, la vindicte du charcutier, il pose une question simple et essentielle « Où sont les preuves ? »

 

 

Il faut bien se rendre à l’évidence : il n’y en a pas.

Alors l’homme est-il pour cela innocent ? Les avis sont partagés. Voilà pourquoi le verdict est mi- chèvre mi- chou.

Auguste Labauve est condamné à cinq années de prison, à 200 francs d’amende, à dix ans de surveillance de haute police.

Les mois s’enchaînent alors.



Auguste Labauve prend son mal en patience, privé de liberté, privé de papier à lettres.

 

 

 

 

Le juge Benoit se morfond dans sa grande maison privé de sa Pauline, privé de son or, maudissant son avarice et sa passion destructrice.

La petite Louise a quitté la maison pour monter à Paris et vivre sa vie.

Le fils éploré a décidé d’oublier ces moments atroces. Il est parti à Nancy, lui aussi pour profiter de moments meilleurs. Ce qu’il fait. Prodigue, dépensier.

Frédéric Benoit est un être à deux visages. A Vouziers, il est petit, maigrichon, vouté par la timidité et la peur des autres. Entièrement dévoué à ses parents.

A Nancy, il bombe le torse, parle et enjolive, caresse les autres de ses yeux de biche, flamboie et flambe.

Comment expliquer la différence entre le premier et le dernier. De manière tout à fait simple, il est riche.

C’est sur les conseils de son père qu’il se rend à Nancy pour devenir Clerc.

Le juge lui paie le gite et le couvert, et lui laisse un peu d’argent de poche.

L’homme serait-il devenu moins pingre ? Certainement pas, car l’argent qu’il laisse à son fils lui permet de subvenir à ses propres besoins, pas à ceux des autres.

Alors avec quoi couvre-t-il d’or ses amis qui sont en même temps un beau ramassis de profiteurs ?

Puis Frédéric se lasse de Nancy. Il lui faut plus. Alors ce sera Paris.

Frédéric Benoit joue, il fréquente les cercles de jeux de la capitale, appliquant consciencieusement une fausse moustache sur son visage imberbe.

Il n’a pas le droit de jouer en tant que mineur, alors il se fabrique une fausse majorité.

Que Frédéric perde ou gagne, peu importe il est heureux. Car de plus, Paris lui ouvre les portes de l’amour.

Il tombe amoureux d’un jeune homme, riche lui aussi, fils d’un négociant en vin de Paris, Joseph Fornage.

L’amour rend aveugle, c’est bien connu. Il rend bavard aussi. Les confiances sur un coin de l’oreiller ont perdu plus d’un homme. Le fils du juge Benoit n’échappera pas à ce lieu commun.

Un soir alors que Joseph lui parle de l’argent de son père, Frédéric parle de l’or du sien. De cet or qu’il a volé, de cet or qui a fait de lui un meurtrier.

Oui Frédéric avoue enfin ce qui lui pesait sur l’estomac depuis si longtemps.

Le meurtrier de sa pauvre maman, c’est lui.

Il a été aidé en cela par sa cousine, Louise, avec qui il partageait à ce moment son lit.

Fornage encaisse le coup, et ne dit rien.

Les deux amants se séparent. Frédéric quitte Paris et regagne Vouziers en juillet 1831.

C’est là, chez son père, qu’il reçoit une lettre. Cette lettre n’a rien d’anonyme, foin des élucubrations d’un charcutier

Elle dit en substance ceci « Malgré la défense que tu m’as faite de t’adresser cette lettre, force m’a été de te désobéir. La nécessité m’y oblige. Je me trouve en effet sur le point de quitter la place que j’occupe faute  de vêtements pour pouvoir y rester. J’ose espérer que tu ne m’abandonneras pas en cette circonstance… Avec 50 écus, je peux me tirer d’affaire. Envoie-les-moi avant huit jours, car plus tard, je pourrai moi-même aller les chercher et faire connaître à tes parents le secret que tu tiens sans doute à cacher… »

Les deux hommes se donnent rendez-vous le 21 Juillet dans un hôtel versaillais.

Les garçons restent un long moment enfermés. On ne sait comment leur rendez-vous a débuté. On sait depuis comment il s’est terminé.
Meurtrier une fois, meurtrier toujours.

Frédéric Benoit égorge Joseph Fornage. Fin du maître chanteur.

Frédéric se sauve, entame une cavale qui va durer quelques semaines.

Le corps de Fornage est retrouvé, forcément.

Et chez le patron du jeune homme, les enquêteurs trouvent le brouillon de la lettre envoyée à Vouziers.

Les gendarmes débarquent dans les Ardennes, chez le Juge affolé et désorienté.

Ces mêmes gendarmes demandent à voir Louise Feucher, car cet assassinat leur a mis la puce à l’oreille.

Et si le charcutier épistolier était innocent ?

Ils remontent sur la piste de la nièce… pour tomber sur un cadavre. Celle-ci, indigente, prostituée, bourrée de remords, est décédée depuis quelque temps, terrassée par la misère, non sans avoir déchargé sur une amie, prostituée elle aussi, le poids de sa honte : « pour 600 francs, j’ai aidé mon amant Frédéric à assassiner sa mère…. »

Il faut retrouver le fils BENOIT ! C’est finalement chose faite à l’automne 1831.

Le jeune homme qui a à peine 19 ans, est cueilli au sortir d’une chambre d’hôtel, puis jeté dans une geôle parisienne, tandis qu’Auguste Labauve est libéré avec les excuses du roi des Français.


En pleine épidémie de choléra, du 11 au 15 juin 1832, les assises s’ouvrent sur un criminel d’exception : Frédéric Benoit.

Là aussi les preuves de la culpabilité du jeune homme manquent, au même titre que lors du procès de Labauve. Toutefois, les circonstances ne sont pas les mêmes, et le dossier est rouvert de manière plus consciencieuse.

 

 

Il n’est nul besoin de plus d’investigations aux jurés parisiens pour condamner Frédéric à la peine habituellement dévolue aux parricides : la mort par décapitation.

C’est en larmes, hurlant et se débattant, que Frédéric Benoit est trainé barrière Saint Jacques, à Paris, jusque devant le guillotine qui le domine de toute sa noirceur.

Le 30 aout 1832, le double assassin qui crie son effroi, meurt, rattrapé par la justice.


 

Source : Affaires criminelles célèbres de 1817 à nos jours, 25 affaires criminelles mémorables (hors série n° 11)

 

 

 

http://excerpts.numilog.com/books/9782213012902.pdf

 

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