#ChallengeAZ - I - ITINERAIRE D'UN ENFANT TERRIBLE

 

ITINERAIRE D’UN ENFANT TERRIBLE

 

« Tu vois, mon fils ? Si tu n’es pas sage, c’est là que tu finiras. »

Nous sommes sous le Premier Empire, quand Monsieur LACENAIRE Père, passant place des Brotteaux à Lyon avec son garnement de fils Pierre-François remarque la présence de la guillotine dressée en l’attente d’une exécution.

Jamais remède n’aura eu plus mauvais effet.

Pierre François Lacenaire, nait le 20 décembre 1803 à Lyon (Rhône) 62 rue Pas Étroit (actuelle rue du Bât d'Argent), Pierre François Lacenaire est le quatrième enfant et le deuxième fils de Jean-Baptiste Lacenaire, bourgeois et négociant lyonnais, et de Marguerite Gaillard, qui connaît treize grossesses entre 1799 et 1809.

Non désiré de ses parents, il souffre de se voir préférer son frère aîné Jean-Louis, né le 19 frimaire an VIII (10 décembre 1799), il a notamment un sentiment d'abandon de sa mère et sera spolié de son héritage par son père.

Pierre-François est un enfant intelligent, certes, mais à l’esprit malsain.

Peu décidé à suivre des études normales, il cause l’embarras croissant de ses parents. Le jeune garçon va de poste en poste, sans jamais trouver sa voie.

En 1827, travaillant dans une banque, il use de ses respectables talents de faussaire pour reproduire des lettres de change, et en adoptant au passage plus d’une vingtaine d’identités différentes, mène une vaste entreprise d’escroqueries diverses deux années durant à l’issue desquelles il change d’air et monte à Paris, non sans profiter au passage d’une généreuse bourse fournie par ses parents qui ignorent tout de ses turpitudes !

Depuis l’enfance, Pierre-François raffole de la poésie et s’adonne volontiers à la composition lyrique… ;

Mais le métier de poète ne nourrit pas son homme, et quand la bourse est vide, Lacenaire meurt de faim.

Honteux, humilié, peut-il envisager, lui si fier, de revenir la tête basse chez ses parents ? C’est inimaginable.  Le suicide ? Il l’expérimente sans parvenir à ses fins… puisque au fond, ce n’est pas la mort en elle-même qu’il souhaite.

Lui veut finir sur les planches ; celle de l’échafaud promis par son père voici vingt ans.

Autant s’y mettre rapidement.

 

En juin 1829, donc, Lacenaire tue pour la première fois. Un crime ? Non, même pas un délit ; un duel contre un jeune homme, neveu du député Benjamin Constant. Il en ressort indemne et intouchable. Il faudra quelques années encore avant que le duel ne devienne un acte passible des assises… et jamais de la peine capitale. Quoi qu’il en soit, ce premier goût de sang lui laisse un souvenir mémorable.

Quelques jours après, Lacenaire décide de faire un séjour en prison. Un vol de voiture plus tard, le voilà à la centrale de Poissy pour une durée d’un an ; l’endroit idéal pour rencontrer le milieu interlope avec lequel il n’est pas encore familier et qui va lui permettre, à coup sûr, de trouver le destin qui lui est promis.

 

C’est en effet entre ces murs qu’il va faire la connaissance de deux petits malfrats, Pierre Avril et Jean-François Chardon. ; Si Avril n’est qu’un cambrioleur sans prétention, Chardon est un personnage assez fascinant.

Lui pratique l’arnaque à la soutane ; sous un déguisement de religieux, usant de sa science du verbe, il vole dans les églises les objets de culte et les revend aux fidèles. 

En outre, il est homosexuel, et fiché par la police sous le sobriquet de « Tante Madeleine ».

Avec leurs conseils et sa propre ruse, Lacenaire ressort de prison comme un étudiant de la faculté ; En un an, il a appris tous ce qui lui sera nécessaire pour devenir un grand criminel. Il s’adonne de nouveau à l’écriture poétique, tout en assurant ses fins de mois par des escroqueries discrètes mais efficaces. Cette existence se poursuit jusqu’au 27 mars 1833, date à laquelle il est arrêté pour vol d’argenterie commis dans un restaurant ; treize mois de prison supplémentaires à son palmarès.



Nouvelle libération et cette fois, il s’agit de passer aux choses sérieuses. S’il doit retourner derrière les barreaux, ce ne peut être que pour un meurtre, si possible crapuleux, car il semble que ce soit les plus sévèrement réprimés.

L’automne suivant, Pierre-François est rejoint par son compagnon de cellule Avril. Et ce dernier lui propose une belle idée ; se souvient-il de Chardon ? La « Tante Madeleine » n’est pas riche, mais ses escroqueries ont été profitables, il vit confortablement… Ne serait-il pas temps qu’il en fasse profiter quelqu’un d’autre ?

Sous couvert de retrouvailles, Avril et Lacenaire se présentent donc, au soir du 13 décembre 1834, passage du Cheval rouge, où demeurent Chardon et sa mère.


L’ex détenu se réjouit de cette visite, avant de comprendre les intentions des deux hommes. Un peu trop tard ; il est massacré à coup de tiers-point (une lime triangulaire) par Lacenaire. C’est n’est pas tout ; il s’agit également de s’occuper de sa mère alitée. Pierre-François la perfore à son tour, sans se laisser attendrir par ses cris et ses supplications. Pour plus de sureté, Avril s’empare d’un merlin et achève fils et mère.

 

Bilan du double meurtre : quelques pièces d’argent. Une déception pour Avril. Lacenaire, lui, s’en fiche éperdument. Il n’a jamais considéré le butin comme une fin en soi.

Le 20 décembre, Avril est arrêté en tentant de s'opposer à l'interpellation d'une prostituée. Libéré peu après, il est de nouveau interpellé le 27 décembre, cette fois pour vol. Quatre jours plus tard, Lacenaire tente avec Hippolyte François, que Bâton lui a présenté la veille à l'angle du boulevard du Temple et du passage Vendôme, de détrousser, dans la cour du Compas d'Or au 66 rue Montorgueil, le garçon de recettes Genevray, âgé de 18 ans, qui, bien que blessé, parvient en hurlant à les mettre en fuite.

Installé avec François dans un garni au 107 rue du Faubourg du Temple, Lacenaire fait avec Bâton et François une tentative de vol chez une parente de ce dernier, à Issy-les-Moulineaux le 1er janvier 1835, puis vole une pendule chez l'horloger Richond, quatre jours après.

Le 7 janvier, après un gain au jeu, il décide de partir chez un parent en Franche-Comté. Parti de Paris deux jours plus tard, il y revient peu après pour y préparer une escroquerie avec une traite au nom de la maison Drevon de Dijon. Puis il se rend successivement à Genève par Dijon, Beaune et Lyon, sous le nom de Jacob Lévi. De retour à Beaune le 2 février, il est arrêté à la suite de l'escroquerie Drevon et écroué le 9 sous le nom de « Jacob Lévi dit Lacenaire ». On le transfère le 26 à la prison de Dijon, où, démasqué et convaincu de crime, il est écroué sous le nom de « Lacenaire dit Gaillard se disant Jacob Lévi » et le 25 mars à la Conciergerie, à Paris, où Pierre Allard, chef de la Sûreté, qui a succédé à Vidocq, et Louis Canler, inspecteur principal, l'interrogent.

Transféré à La Force le 18 avril, il finit par avouer, le 18 mai, sa culpabilité dans le double meurtre du passage du Cheval-Rouge, ses complices l'ayant trahi. Toutefois, le 27 juillet, un groupe de prisonniers l'agresse, à l'instigation de François, et il doit être conduit à l'infirmerie, où il demeure jusqu'à la fin de sa détention préventive. Il a de longues discussions avec François-Vincent Raspail, interné à La Force le 1er août à la suite de l'attentat de Fieschi.

Interné du 28 octobre au 3 novembre à la Conciergerie, il réintègre ensuite La Force, où il s'entretient le 7 avec un groupe d'avocats, de médecins et de journalistes – ces entretiens sont abondamment reproduits dans la presse.

Jugé avec Avril et François devant la cour d'assises de la Seine du 12 au 14 novembre, il transforme son procès en tribune théâtrale. Ses deux comparses ont le physique de brutes, alors que lui est un jeune homme distingué, ce qui est aux antipodes des théories physiognomoniques de l'époque.

 

De même, il a transformé sa prison en salon mondain (ses répliques comme « Je tue un homme comme je bois un verre de vin » seront notamment reprises dans un ouvrage du journaliste Jacques Arago) — avec la complicité des autorités, qui ont besoin de faire oublier l'interminable procès des républicains arrêtés en 1834 après les émeutes de Paris et de Lyon et le jugement prochain du régicide Fieschi devant la cour des Pairs.

Assassin romantique (beaucoup de femmes assistent au procès), il avoue tout avec cynisme et désinvolture et implique ses deux complices Avril et François, considérant qu'ils l'ont dénoncé et que tous les trois méritent la mort. Son avocat commis d'office, Maitre Brochant de Villiers, plaide la folie, en vain.

Condamné à mort avec Avril alors que François est frappé du bagne à perpétuité, il se pourvoit en cassation le 18 novembre, jour de son transfert à Bicêtre, et réintègre la Conciergerie deux jours plus tard.

Il rédige ses Mémoires et plusieurs poèmes qui contribueront à faire naître le mythe du dandy assassin et voleur. Le 21 novembre, Le Charivari publie des chansons de Lacenaire. Le 23, le Corsaire fait paraître un plan de vaudeville attribué à Lacenaire.

Après le rejet de son pourvoi en cassation le 26 décembre, il est transféré avec Avril à Bicêtre le 8 janvier 1836 à 22 heures. Les deux hommes sont exécutés le lendemain matin à la Barrière Saint-Jacques. La redingote bleue qu'il porte au moment de la décapitation sera achetée par des collectionneurs.

 

 

Les Mémoires, révélations et poésies de Lacenaire, écrits par lui-même à la Conciergerie paraissent en deux volumes chez Ollivier le 28 mai suivant. De nombreux passages sont censurés, d'autres ont fait l'objet de falsifications.

Lors de son exécution, Lacenaire aurait déclaré : « J'arrive à la mort par une mauvaise route, j'y monte par un escalier… »

Une légende tenace veut que la guillotine, qui pourtant vient de couper la tête d'Avril, s'enraye. Lacenaire tourne la tête et fait face à la lame que l'aide du bourreau Henri-Clément Sanson fait tomber. Sanson lui-même conteste cette version dans ses mémoires ; Louis Canler, qui fut un témoin direct, n'en parle pas dans ses mémoires où il décrit pourtant, dans le détail, l'exécution.

 

Sur ordre du garde des sceaux Jean-Charles Persil, (qui s'inquiète du courant de sympathie qui monte dans l'opinion autour de cet assassin atypique), le compte-rendu publié par la Gazette des tribunaux (journal officiel) est falsifié, afin de montrer que Lacenaire « n'a pas su affronter l'échafaud sans trembler ». Toutefois, les récits des journaux de province, du Constitutionnel et de l'Observateur des tribunaux permettent de rétablir, les jours suivants, la fin courageuse du « monstre bourgeois ». Ils sont confirmés ultérieurement par les Mémoires des Sanson et les Mémoires de Canler.

 


Pour aller plus loin

  • Mémoires, révélations et poésies de Lacenaire, écrits par lui-même à la Conciergerie, Paris, Chez les marchands de nouveauté, 1836, 2 volumes, in-8 :
  1. tome premier, XXVI-265  p., lire en ligne [archive] sur Gallica
  2. tome second, 308  p., lire en ligne [archive] sur Gallica
  • Lacenaire, ses crimes, son procès et sa mort, d'après des documents authentiques et inédits, suivis de ses poésies et chansons (recueillis par Victor Cochinat), Paris, Jules Laisné, 1864, lire en ligne [archive] sur Gallica.
  • Mémoires de Lacenaire, avec ses poèmes et ses lettres (édition établie et présentée par Monique Lebailly), Éditions Albin Michel, 1968, 352 p.
  • Mémoires, L'Instant, 1988, 372 p.
  • Mémoires et autres écrits (édition établie et revue par Jacques Simonelli), Paris, José Corti, coll. « Domaine romantique », 1991, 390 p. (ISBN 2-7143-0406-0).
  • Mémoires et autres écrits (édition établie et revue par Jacques Simonelli), Paris, éditions José Corti, 1991, 390 p. (ISBN 978-2-71430-406-3)
  • Mémoires, Éditions du Boucher, 2002, 156 p. (ISBN 978-2-84824-018-3)
  • 1945 : Les Enfants du paradis, réalisé par Marcel Carné, sorti en 1945. Rôle incarné par Marcel Herrand.
  • 1990 : Lacenaire (titre canadien francophone : L'Élégant Criminel), réalisé par Francis Girod, sorti en 1990. Rôle incarné par Daniel Auteuil.
  • L'Affaire Lacenaire, téléfilm réalisé par Jean Prat et diffusé le 8 février 1957 dans le cadre de la série En votre âme et conscience. Rôle tenu par Michel Piccoli.

 

Sources

25 affaires criminelles mémorables  hors-série n° 11

Wikipédia

You tube

 

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