LES GUEULES CASSEES (première partie)
Lorsque j’ai fait des recherches sur mon
arrière Grand-Père maternel, Clément DAVID, j’ai découvert qu’il avait été
blessé par éclats d’obus en septembre 1915,
(blessures graves aux joues, à la figure et à l’épaule et cécité
complète).
C’est alors pour moi un « long parcours du
combattant », pour trouver des informations relatives à ses blessures, sur
ce qui s’est passé depuis le jour où il a été blessé et le jour où il décède.
Je n’ai pas tout découvert ! J’ai trouvé le journal des
opérations militaires de son régiment (voir mon article du challenge AZ 2015 à la lettre O), le journal officiel indiquant qu’il bénéficiait d’une
pension, le journal officiel pour ses médailles, mais rien concernant ses
blessures et son séjour en hôpital.
J’ai interrogé les archives du service des Armées, mais rien ! A
croire, qu’après avoir été blessé et évacué du front, il a disparu de la
circulation pour ne réapparaître qu’en 1917 pour mourir en son domicile !
Les « gueules
cassées » dont mon arrière grand-père a sans doute fait partie, (vu ses
blessures) ont du vivre un véritable
calvaire. Non seulement ils étaient défigurés, ce qui n’était certainement pas
facile à accepter pour certains qui auraient sans doute préférés mourir sur le
champ de bataille, ils devaient souffrir terriblement, mais en plus, une fois rentrés chez eux, ils devaient subir
le regard des autres, y compris parfois, celui de leur famille.
Je vais essayer au
moyen de cet article, en plusieurs parties, de retracer le parcours d’un blessé de la
face, grâce au livre « les Gueules Cassées » de Sophie Delaporte.
PREMIÈRE PARTIE
DE LA BLESSURE A L’AMBULANCE
Durant la Première Guerre mondiale,
une ambulance est un poste de secours avancé au plus près du front et capable
d'accueillir des soldats blessés pour les premiers soins avant leur évacuation
vers un hôpital militaire de campagne.
Le degré
d’inorganisation du service de Santé fut tel dans les premiers mois du conflit,
et ses flottements s’effacèrent si lentement que le blessé au visage ne fut pas
soumis seulement aux urgences ou complications immédiates, mais également à
tout un cortège de complications secondaires.
Il convient de préciser que les blessés de la face
étaient soumis à des urgences d’ordre strictement maxillo-faciales ; ils
pouvaient s’étouffer ou s’asphyxier ; ils pouvaient également saigner
abondamment.
La première phase
dans l’évacuation d’un blessé au visage se situait évidemment dans la zone des
combats et les premières formations sanitaires où le blessé était susceptible
de s’arrêter appartenaient au service régimentaire. Trois étapes composaient le
processus d’évacuation.
C’est au
brancardier qu’incombait tout d’abord la relève du blessé sur le champ de
bataille. Mais la violence des combats n’autorisait pas toujours cette
dernière, qui s’effectuait souvent dans des conditions extrêmes, comme
lorsqu’il s’agissait de relever les blessés sous les balles ou sous une pluie
d’obus.
brancardier soignant un blessé |
C’était donc avec
le brancardier que s’établissait le premier contact entre le blessé et le corps
médical. Si les brancardiers avaient reçu une instruction spéciale concernant
la relève des blessés, rien en fait ne les avait préparés à ces blessures si
affreusement mutilantes.
Le récit d’un
brancardier en témoigne « Il est mort, mais cet autre non. Et
c’est bien tant pis. Comment ! Un éclat d’obus, un seul a pu faire une
telle blessure. Oh ! Cachez cette face hideuse, cachez-là. Je détourne les
yeux, mais j’ai vu et je n’oublierai pas, dussé-je vivre cent ans. J’ai vu un
homme qui à la place du visage avait un trou sanglant, plus de nez, plus de
joues, tout cela a disparu……. Cachez ce masque d’horreur !...... »
Après avoir relevé le blessé, le brancardier devait le transporter jusqu’ à l’un des abris répartis entre la première ligne et le poste de secours, sous la forme d’une succession de relais.
Ceux-ci en secteur
calme pouvaient être disposés dans la tranchée elle-même, (sortes de niches
plus ou moins profondes creusées dans le sol et surmontées d’un toit de rondins
recouverts de terre).
Poste de secours 44 (Aisne) |
L’exiguïté des tranchées obligeait les brancardiers à porter le blessé à bout de bras ou dans un palanquin constitué d’une toile de tente suspendue à une perche.
Le service Santé,
afin d’améliorer les conditions d’évacuation, distribue en 1915 des brouettes
porte brancards susceptibles d’assurer un transport plus rapide. Mais leur
emploi se révélera d’une lenteur désespérante, tant par leur lourdeur, que par
l’étroitesse de leurs roues qui s’enlisaient en terrain boueux.
La seconde étape de l’évacuation du blessé de la face à l’intérieur des formations sanitaires de l’avant pouvait être le poste de pansements. Il était situé d’ordinaire en tranchée de deuxième ligne, dans une sorte de chambre souterraine.
Pansement individuel |
Deux blessés couchés pouvaient y être accueillis. On appliquait le
premier pansement, parfois le pansement individuel dont tout soldat était muni
(porté dans une poche spéciale de la capote, du dolman ou de la veste). Ce
moyen permettait d’arrêter une hémorragie si celle-ci n’était pas trop
importante, complication immédiate redoutée par les chirurgiens et malheureusement
très fréquente dans les blessures faciales.
Dans tous les cas
le pansement n’était qu’un moyen provisoire, et il était impératif d’évacuer le
blessé maxillo-facial afin que de véritables moyens opératoires puissent être
employés. Le blessé pansé, on le transporte alors jusqu’au poste de secours,
ultime étape du service régimentaire. Les postes de secours étaient situés au
voisinage de l’entrée des boyaux de communication ou dans les maisons du
cantonnement voisin.
A la sortie du boyau, des brancards à bras ou sur rues
étaient utilisés pour le transport là se trouvait le médecin chef du régiment,
le seul à disposer d’un matériel suffisant pour appliquer de très bons
pansements ou renouveler les précédents.
Poste de secours. Bois. En Belgique. Transport des blessés sur une piste de relais, 16 octobre 1917 - photographie argentique sur papier, coll. Historial de la Grande Guerre, Péronne |
Avec les moyens chirurgicaux de fortune dont il disposait, le médecin chef du poste de secours pouvait se trouver obligé de pratiquer des opérations telles que la laryngotomie ou la trachéotomie afin d’éviter au blessé l’asphyxie.
La plupart des
chirurgiens de l’arrière s’insurgeaient contre les initiatives malheureuses que
prenaient leurs collèges des postes avancés, souvent moins qualifiés,
travaillant dans des conditions difficiles, et sans cesse confrontés à l’afflux
de blessés de toutes sortes.
Quoique qu’il en
soit, c’est au poste de secours que prenait fin le parcours du blessé au sein
du service régimentaire d’armée. Au-delà commençait le service des ambulances.
Mais la gravité des blessures de la face exigeant des interventions immédiates,
on a vu que bon nombre de ces grands blessés, exposés à de graves
complications, ont dû sauter plusieurs maillons de cette chaine d’évacuation,
et ne passer que par l’une des trois étapes composant le service régimentaire.
C’est à
l’ambulance, premier véritable lieu de
décision rencontré par le soldat blessé sur son parcours depuis les premières
lignes, que l’on prodiguait les premiers véritables soins chirurgicaux. Il
fallait surtout faire face à présent aux conséquences de la lenteur avec
laquelle le blessé était parvenu jusqu’ici.
Les retards
observés dans les évacuations représentaient un problème crucial, tout
particulièrement dans les premiers mois de la guerre. Ils révèlent
l’impréparation et les insuffisances du Service de Santé au début du conflit.
Un rapport date du
1er février 1915 précisait que le délai moyen entre la date de la
blessure et l’arrivée à l’ambulance était de 42 jours.
On s’en doute, de
tels retards pouvaient induire des conséquences médicales parfois irrémédiables
(prolongement de l’hospitalisation dans les centres, surcroît d’opérations
« réparatrices », infection).
A l’ambulance
chirurgicale et avant l’évacuation vers un hôpital spécialisé de l’avant, les
blessés de la face devaient faire l’objet d’un triage par un groupe médico
administratif qui se chargeait de les orienter vers les formations compétentes.
Les blessés de la
face portaient une enveloppe fiche jaune, et l’indication de la chirurgie
maxillo-faciale était indiquée par la lettre C24. Ce système de fiche,
rationnel en apparence, occasionnait des pertes de temps supplémentaires dans
l’examen des « gueules cassées » aggravant encore le préjudice subi.
Extrait
du Poème des Gueules Cassées – La Blessure au Visage
Lorsqu’'on
aura posé les armes
Et que, joyeux levant le front
Et tarissant toutes les larmes
Reviendront: ceux qui reviendront!
………/ …
Mais toi dont le masque effroyable
Est défiguré par l'horreur
Semblable au monstre de la fable
Dont les petits enfants ont peur
Toi qui dans la tragique fête
Au premier rang des bataillons
A su, sans détourner la tête
Recevoir le coup en plein front
Toi qui n'en est pas mort, pauvre homme
Mais à toi même hélas survis!
Toi, qui n’a su donner en somme
Que ton visage à ton pays...
L'amour se détourne à ta vue
L'amitié ralentit le pas
Et le soir de ta venue
Ton chien ne te reconnut pas!
Si tu n'as plus ta vieille mère
Ne rentre pas à la maison
Oh! Pauvre enlaidi de la guerre
Fuis, au hasard, vers l'horizon!
Fuis ta demeure et ton village
On te plaint moins qu’ hier déjà
On se détourne davantage
Et demain on t'évitera
Mais si ta mère est à ta porte
Entre sans crainte elle t'attend!
Pourquoi trembles-tu? Que t'importe?
Elle a reconnu son enfant!
Elle t'étreint et te regarde
Et clame quelle chance j'ai.
C'est bien lui, je l'ai, je le garde
C'est mon fils, il n’a pas changé!
Et que, joyeux levant le front
Et tarissant toutes les larmes
Reviendront: ceux qui reviendront!
………/ …
Mais toi dont le masque effroyable
Est défiguré par l'horreur
Semblable au monstre de la fable
Dont les petits enfants ont peur
Toi qui dans la tragique fête
Au premier rang des bataillons
A su, sans détourner la tête
Recevoir le coup en plein front
Toi qui n'en est pas mort, pauvre homme
Mais à toi même hélas survis!
Toi, qui n’a su donner en somme
Que ton visage à ton pays...
L'amour se détourne à ta vue
L'amitié ralentit le pas
Et le soir de ta venue
Ton chien ne te reconnut pas!
Si tu n'as plus ta vieille mère
Ne rentre pas à la maison
Oh! Pauvre enlaidi de la guerre
Fuis, au hasard, vers l'horizon!
Fuis ta demeure et ton village
On te plaint moins qu’ hier déjà
On se détourne davantage
Et demain on t'évitera
Mais si ta mère est à ta porte
Entre sans crainte elle t'attend!
Pourquoi trembles-tu? Que t'importe?
Elle a reconnu son enfant!
Elle t'étreint et te regarde
Et clame quelle chance j'ai.
C'est bien lui, je l'ai, je le garde
C'est mon fils, il n’a pas changé!
Ces
soldats ne sont pas « Morts pour la France », car souvent démobilisés
après leurs blessures, mais ils ont été décorés des plus hautes distinctions.
Mais
le sacrifice qu’ils ont du subir n’est-il pas aussi violent que de mourir sur
le front ?
Deuxième
partie « Centre spécialisé de l’avant »
à lire dans le prochain article
Sources
textes et images « Gueules cassées » de Sophie Delaporte.
Photo poste
de secours 44 dans l'Aisne avec rondins avec l’aimable autorisation de l'auteur du
site http://www.montrervoir.fr/
Photo pansement individuel, avec l’aimable
autorisation de l’auteur du blog http://httpdupuyblogspotcom.unblog.fr/2015/01/16/lequipement-du-soldat/comment-page-1/#comment-297
Photo poste de secours (bois 16 de 1917) blog http://expositionvirtuelle.memoire1418.org/uploads/tx_weccontentelements/flexPedago/1_poste-secours_03.JPG
Autres photos –
. Gallica - le Larousse médical illustré de guerre (Galtier-Boissière, 1917)
. blog "raconte moi 14/18 lettres de poilus" sur http://racontemoi1418.fr/lettres-de-poilus/#1
. Gallica - le Larousse médical illustré de guerre (Galtier-Boissière, 1917)
. blog "raconte moi 14/18 lettres de poilus" sur http://racontemoi1418.fr/lettres-de-poilus/#1
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